Women’s Voices: Enrica Montalban
Ce mois-ci, dans Women’s Voices, Sara Carracedo interviewe Enrica Montalban, post-doctorante italienne travaillant à Nutrineuro dans l’équipe NutriPsy. Ses recherches portent sur la récompense et la dopamine dans le contexte des troubles psychiatriques. En 2024, elle a été lauréate du prix Marian Diamond, remis par le comité parité et inclusion de Bordeaux Neurocampus, qui vise à mettre en lumière les femmes neuroscientifiques en post-doctorat.
Sara Carracedo : Pourriez-vous donner un aperçu de votre parcours universitaire ?
Enrica Montalban : Mon parcours académique a débuté à l’Université de Rome « La Sapienza », où j’ai obtenu un master. Ayant obtenu des résultats encourageants lors de mon stage, j’ai décidé de poursuivre mes recherches avant de commencer un doctorat. J’ai donc obtenu une bourse et terminé mon projet à l’Institut européen de recherche sur le cerveau, à Rome. En 2012, j’ai obtenu une bourse du réseau de formation initiale Marie Skłodowska-Curie et j’ai commencé, sous la supervision du Dr Girault, un doctorat conjoint entre l’Institut du Fer à Moulin à Paris et le laboratoire du Prof. Greengard à l’Université Rockefeller à New York. L’objectif de mon projet était d’identifier les mécanismes moléculaires qui sous-tendent les adaptations à long terme des neurones sensibles à la dopamine du striatum aux états physiologiques et pathologiques liés au traitement de la récompense. En 2018, grâce à l’obtention d’une bourse post-doctorale de la Fondation pour la Recherche Médicale, j’ai rejoint le laboratoire du Dr. Luquet dans le but de comprendre les interactions entre les circuits métaboliques et les circuits de récompense dans le contrôle de l’alimentation. J’ai déménagé à Bordeaux en 2022.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos recherches actuelles ?
Suite à mon premier postdoc, j’ai développé un fort intérêt pour l’interaction entre la nutrition et l’inflammation dans la vulnérabilité aux maladies psychiatriques liées à une dérégulation du système de récompense, et en particulier la dépression. En mai 2022, j’ai donc décidé de rejoindre le laboratoire NutriNeuro dirigé par Lucile Capuron. Au sein de son groupe, j’ai proposé un projet de recherche translationnelle, visant à explorer l’hypothèse selon laquelle l’astrocytose – augmentation anormale du nombre d’astrocytes – induite par l’inflammation liée à l’adiposité est directement responsable d’une perturbation de la transmission de la dopamine, participant ainsi à l’apparition de symptômes dépressifs tels que la perte de motivation. Je mène donc actuellement un projet translationnel explorant le lien entre les astrocytes et la transmission de la dopamine en utilisant la chimiogénétique pour manipuler sélectivement les astrocytes et l’imagerie in vivo couplée à des capteurs de dopamine chez des animaux au comportement normal. Parallèlement, j’utilise des radioligands dopaminergiques couplés à la tomographie par émission de positons (TEP) pour évaluer les niveaux de dopamine en relation avec la symptomatologie dépressive chez les patients obèses.
En 2024, vous avez reçu le prix Marian Diamond, une initiative du Comité paritaire du Neurocampus de Bordeaux. Pouvez-vous nous parler des réalisations académiques ou des reconnaissances que vous avez reçues avant cela, notamment au cours de votre doctorat ?
Pour mon doctorat, j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour une bourse du réseau de formation initiale Marie Skłodowska-Curie (NPLAST). Cette bourse a couvert la quasi-totalité de mon doctorat et a été une occasion unique d’interagir très tôt dans ma carrière avec des scientifiques déjà établis et talentueux. Mon travail de doctorat a ensuite été essentiel pour l’obtention d’une bourse post-doctorale de la Fondation pour la recherche médicale. Mes travaux ont également été récompensés par la Fondation de Treilles, qui m’a décerné le « Prix du jeune chercheur ».
Vous faites actuellement partie du comité parité et inclusion de Neurocampus, qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre ce groupe ? Quelles sont les initiatives de ce comité que vous jugez particulièrement importantes ?
Au cours de mon parcours universitaire, j’ai compris qu’il n’était pas toujours facile de reconnaître un traitement inégal. Ma principale motivation pour participer au comité est de sensibiliser les gens aux préjugés sexistes et de participer à l’effort d’identification et de prévention des comportements inégaux à tous les niveaux, non seulement au sein du système scientifique, mais aussi dans notre vie quotidienne au laboratoire. La diversité est cruciale pour notre société et pour le progrès de la science, et participer à ce comité est un excellent moyen de contribuer à la mettre en valeur. J’apprécie beaucoup le travail effectué par ce groupe. Les données concernant les préjugés sexistes ont été collectées et analysées avec une rigueur scientifique par le biais d’enquêtes bien conçues. Ce travail est particulièrement important car il pourrait ouvrir les yeux des scientifiques de la communauté grâce à des chiffres réels et indéniables. Il s’agit d’une étape cruciale pour permettre à la communauté de faire face au problème avec objectivité et d’un tremplin pour s’attaquer aux causes de l’inégalité.
Comment conciliez-vous les exigences de la recherche et de la vie privée ? Pensez-vous que cet équilibre est plus difficile à trouver pour les femmes dans le monde universitaire ?
J’ai toujours été très passionnée par mes projets de recherche, c’est pourquoi, pendant longtemps, travailler dur n’était qu’une partie de ma vie personnelle, en particulier au début de ma carrière. Je pense que l’une des clés est d’essayer de comprendre qu’il est bénéfique, même d’un point de vue professionnel, de mettre une certaine distance entre la vie personnelle et la recherche. Il est toujours plus productif de penser avec un esprit neuf. Maintenir un équilibre peut être compliqué et je pense que c’est beaucoup plus difficile pour les femmes. J’en fais encore plus l’expérience aujourd’hui, en tant que post-doctorante senior à un moment critique de sa carrière et en tant que mère d’un enfant de 16 mois. Bien que ma situation soit particulièrement compréhensible et acceptée par notre société, je pense que la maternité n’est qu’un des scénarios dans lesquels une femme aura plus de mal à maintenir un équilibre. Par exemple, nous pouvons encore rencontrer des histoires dans lesquelles une femme doit produire davantage pour démontrer sa valeur professionnelle. Ce qui, bien sûr, aura un impact sur sa vie personnelle.
Quels conseils donneriez-vous à d’autres femmes en début de carrière dans les neurosciences qui pourraient être confrontées à des préjugés sexistes ou à la discrimination ?
Mon premier conseil serait de continuer à faire leurs recherches du mieux qu’elles peuvent. Les bonnes recherches seront reconnues, indépendamment du sexe. Je conseille également d’essayer d’avoir un réseau de scientifiques honnêtes et dignes de confiance auquel se référer en cas de doute sur des projets de recherche ou des ambitions de carrière. Il est également crucial d’être intransigeant contre toute forme de préjugé sexiste et de discrimination à laquelle nous pouvons être confrontées. Cela implique d’être capable de les détecter, en commençant par le langage et la façon d’interagir avec les femmes. Bien que le monde universitaire ait encore des progrès à faire, le système évolue dans le bon sens et pourrait devenir un exemple pour la société. Il est donc essentiel que chacun se sente concerné et participe à ce défi en identifiant les préjugés et les discriminations au quotidien, et en agissant activement contre eux.
A propos
Entretien par Sara Carracedo (doctorante à l’IMN)
Women’s Voices (Voix de femmes) est une série d’entretiens créée par le Neurocampus Parity and Inclusion Committee (NeuroPIC), un groupe local engagé dans la promotion de l’égalité et l’organisation d’actions visant à combler le fossé entre les femmes et les hommes dans le monde universitaire. L’objectif de cette section est d’accroître la visibilité des chercheuses en début de carrière à Bordeaux Neurocampus. Nous interrogeons les chercheuses sur leurs contributions scientifiques, leurs points de vue et leurs opinions sur l’équité, la diversité et les préjugés sexistes dans le monde universitaire. Grâce à ces entretiens, nous souhaitons non seulement mettre en lumière leurs réalisations, mais aussi servir d’inspiration à notre communauté scientifique et à d’autres femmes scientifiques.
Mise à jour: 14/01/25