#

Entretien : Eduarda Gervini Zampieri Centeno

 Eduarda Gervini
Eduarda Gervini

Ce mois-ci, dans Women’s Voices, Sara Carracedo, doctorante à l’IMN, interviewe Eduarda Gervini Zampieri Centeno, une doctorante brésilienne qui travaille sur les neurosciences computationnelles et les chants d’oiseaux à l’IMN. Eduarda est passionnée par les sciences ouvertes et la programmation en Python. Au-delà de ses recherches à l’Université de Bordeaux, Eduarda rêve de lancer un camp de codage pour les filles au Brésil !

Sara Carracedo : Pouvez-vous vous présenter et donner un bref aperçu de votre parcours académique ?

Eduarda Gervini : Je viens du sud du Brésil, où j’ai commencé ma carrière scientifique par une licence en biotechnologie. En tant qu’étudiante de premier cycle, j’ai eu l’occasion de partir à l’étranger et de passer une année dans le cadre d’un échange à l’université de Reading au Royaume-Uni. Après mes études de premier cycle, j’ai rejoint le programme Neurasmus (programme Erasmus Mundus pour les neurosciences), effectuant ma première année à l’Université de Bordeaux et ma deuxième année à la Vrije Universiteit Amsterdam. Après avoir obtenu mon master, je suis retournée à Bordeaux pour commencer un doctorat dans l’équipe du Dr Leblois, tout en continuant à travailler à distance et à temps partiel en tant qu’assistante de recherche pour l’équipe où j’ai mené mon projet de thèse de master sous la supervision des Dr Douw et Santos (MULTINET).

Mon parcours académique et professionnel m’a constamment amenée à sortir de ma zone de confort et à relever de nouveaux défis. J’ai d’abord été formée à la recherche côté paillasse, puis, après cinq ans et une exposition suffisante à différentes techniques, je suis passée du « wet lab » à l’informatique. Aujourd’hui, je m’oriente vers le leadership et l’élaboration de politiques dans le domaine de l’Open Science, un mouvement auquel je participe depuis 2019.

Sur quoi se portent vos recherches actuelles

Dans le cadre de mon projet de doctorat, je développe un cadre informatique, inspiré des principes de l’Open Science, pour la gestion et l’analyse des données dans l’équipe d’Arthur Leblois à l’IMN. Ce cadre est actuellement utilisé dans divers projets de recherche, mais ma thèse se concentre sur la découverte des dynamiques neuronales liées au sommeil qui pourraient sous-tendre la consolidation de l’apprentissage vocal chez les oiseaux chanteurs. Notre équipe s’efforce de comprendre comment ces oiseaux apprennent à chanter, l’objectif ultime étant d’appliquer ces résultats pour mieux comprendre comment des compétences sensorimotrices similaires sont acquises chez les différentes espèces.

À Amsterdam, je suis responsable de la mise en œuvre et de la supervision des pratiques de science ouverte au sein de l’équipe du Dr Douw et de la coordination d’un groupe de travail pour la transition du département vers ce cadre. Un projet passionnant sur lequel nous travaillons actuellement est notre « Open Science Guidebook for Neuroscience », dans lequel nous adaptons les implémentations Open Science au contexte de la recherche neuroscientifique et biomédicale. Outre ces tâches, je participe également à différents conseils liés à l’Open Science aux niveaux national et international.

Vous avez été très impliqué dans le mouvement Open Science ; pourriez-vous nous en dire plus sur l’initiative ReproducibiliTea que vous avez créée ?

ReproducibiliTea est une initiative qui vient du Royaume Uni. Cela réunit des personnes pour discuter de l’amélioration des pratiques de recherche autour d’une tasse de thé. Ces clubs de lecture se sont répandus dans le monde entier, et je les ai rencontrés pour la première fois lors de mon master à Amsterdam. Avec une amie, nous avons créé le Vrije Universiteit ReproducibiliTea, qui organise des sessions mensuelles sur la science ouverte dans un cadre sûr et informel. Cette expérience a favorisé un sentiment de communauté et a approfondi notre compréhension des pratiques de recherche.

Lorsque j’ai postulé pour mon doctorat à Bordeaux, je savais que je voulais continuer avec ReproducibiliTea. J’ai soumis l’idée au Graduate Program, j’ai reçu son soutien et, en février 2021, nous avons organisé notre première session BordeauxTea. La première année a été un succès et, à la fin, BordeauxTea est devenu un cours enregistré à l’ADUM, permettant aux doctorants de le comptabiliser dans leurs heures de formation. La deuxième année, Fjola Hyseni m’a rejoint en tant que co-animatrice, et nous avons organisé dix sessions, avec des interventions d’orateurs invités tels qu’un spécialiste du programme scientifique de l’UNESCO.

La troisième année, BordeauxTea est devenu le premier atelier de science ouverte sur le Neurocampus, avec plus de 60 participante et participants qui ont réfléchi aux pratiques de recherche pendant une semaine. Depuis, je me suis retirée, mais le groupe est entre de bonnes mains, et je suis impatiente de voir comment BordeauxTea évoluera.

En tant que femme travaillant dans le domaine des neurosciences, quelle est votre opinion sur les préjugés sexistes dans le monde universitaire ?

Il est indéniable que les préjugés sexistes sont très présents dans le monde universitaire. Dans divers domaines, y compris les neurosciences, les femmes sont beaucoup plus nombreuses en début de carrière, mais cela ne se traduit pas par des proportions similaires aux stades ultérieurs, où les hommes (blancs cis) restent majoritaires. Cette réalité « en ciseaux » est assez bien documentée et, malheureusement, nous savons aussi que ce n’est pas tout : même à des postes similaires, les femmes peuvent encore gagner moins.

À mon avis, un manque de diversité est toujours une perte pour l’environnement de travail et le domaine de la recherche au sens large. Une plus grande diversité favorise la créativité, qui est essentielle à la résolution des problèmes. En outre, un groupe de chercheurs diversifié est susceptible de concevoir des projets dont les objectifs sont plus variés et plus inclusifs. Dans le domaine de la recherche biomédicale, par exemple, des ensembles de données provenant de populations différentes peuvent permettre de mieux généraliser les résultats et d’améliorer les solutions thérapeutiques.

Quoi qu’il en soit, je pense qu’il est également important de penser non seulement aux préjugés sexistes, mais aussi aux autres préjugés qui se recoupent avec le sexe, notamment l’origine ethnique et l’orientation sexuelle. Nous devrions nous efforcer de créer un terrain plus sûr et plus égal pour tous.

En tant que responsable de l’Open Science au MULTINETlab, quelles sont vos réflexions ou conseils sur le leadership féminin ? Pensez-vous que cela est plus facile ou difficile que pour les hommes ?

Si certaines personnes ont des aptitudes naturelles pour le leadership, la plupart ont besoin d’une formation et d’une évaluation continue pour devenir de bons leaders. C’est particulièrement vrai dans le monde universitaire, où l’accent est souvent mis sur les détails et l’exécution des projets plutôt que sur la gestion et la direction d’équipes. En raison d’un manque structurel de formation, les universitaires et les chercheuses et chercheurs ne sont généralement pas dotés des compétences nécessaires en matière de leadership, ce qui peut avoir pour conséquence que les superviseurs ne sont pas préparés à leur rôle, d’où des environnements dépourvus de soutien et de gestion efficace. En outre, l’absence d’évaluation réciproque entre les superviseurs et les étudiantes et étudiants entrave l’échange d’un retour d’information constructif et transparent. Cet environnement est difficile pour tout le monde, mais particulièrement pour les femmes, qui sont confrontées à des obstacles structurels supplémentaires et sont généralement sous-représentées dans les postes de direction.

La formation au leadership et à la gestion devrait faire partie intégrante de l’enseignement de la recherche à tous les niveaux, et les femmes devraient être davantage incitées à y participer. Mon conseil est de trouver de bons mentors, une communauté et une formation pour favoriser les compétences de leadership. J’ai eu la chance d’avoir pour mentors les docteurs Douw et Santos. Ils ont remarqué en moi une étincelle de leadership, ont travaillé activement avec moi pour améliorer mes compétences et m’ont donné l’espace nécessaire pour me développer. Leurs conseils m’ont permis de prendre des risques et de faire preuve d’audace dans mes aspirations.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent aller vers un doctorat ?

Mon principal conseil pour commencer un doctorat est de vous assurer que vous serez dans un environnement sûr et favorable. Parlez à d’autres personnes de votre équipe potentielle et évaluez si leur éthique de travail correspond à vos valeurs. Ce conseil est particulièrement important pour les étudiantes étrangères, car partir à l’étranger sans réseau de soutien peut s’avérer difficile. Cherchez à créer une communauté et un réseau de soutien qui respectent vos valeurs culturelles et tenez compte de facteurs tels que l’accès à des aliments familiers et un climat avec lequel vous vous sentez à l’aise – ces facteurs peuvent influer sur le sentiment d’être « chez soi » à la fin de la journée.

Enfin, choisissez un projet qui vous intéresse vraiment et engagez-vous dans des activités extrascolaires qui vous apportent un épanouissement et des récompenses immédiates.

L’aventure du doctorat peut être solitaire et lente à porter ses fruits, il est donc essentiel de trouver des sources de joie quotidiennes pour vous soutenir dans les hauts et les bas. En ce qui me concerne, la défense de l’Open Science a joué un rôle essentiel dans ma motivation au cours des quatre dernières années. Cela m’a apporté une joie immense et des moments gratifiants, ainsi qu’une communauté de soutien et des compétences précieuses que j’emporterai avec moi pour la vie.


A propos

Sara Carracedo
Sara Carracedo

Entretien par Sara Carracedo (doctorante à l’IMN)

Women’s Voices (Voix de femmes) est une série d’entretiens publiés à la fois dans le journal Brainstorm et sur le site web de Neurocampus, créée en partenariat avec le Neurocampus Parity and Inclusion Committee (NeuroPIC), un groupe local engagé dans la promotion de l’égalité et l’organisation d’actions visant à combler le fossé entre les femmes et les hommes dans le monde universitaire. L’objectif de cette section est d’accroître la visibilité des chercheuses en début de carrière à Bordeaux Neurocampus. Nous interrogeons les chercheuses sur leurs contributions scientifiques, leurs points de vue et leurs opinions sur l’équité, la diversité et les préjugés sexistes dans le monde universitaire. Grâce à ces entretiens, nous souhaitons non seulement mettre en lumière leurs réalisations, mais aussi servir d’inspiration à notre communauté scientifique et à d’autres femmes scientifiques.

Save the date!

Eduarda will be defending her thesis on November 7th

Publication: 24/10/24
Mise à jour: 06/11/24