« Voici l’histoire terrifiante des protéines Prion »

Romuald Nargeot visite Eric Kandel

Nous avons demandé à Romuald Nargeot, Maître de conférence et chercheur (CNRS UMR 5287 INCIA) de faire le point sur les découvertes du laboratoire d’Eric Kandel, professeur à l’Université de Columbia. Avec beaucoup de talent et dans un style bien à lui, Romuald Nargeot nous présente les recherches innovantes du prix Nobel au papillon rouge ….

Imaginez une belle cocotte en papier avec ses pliages joliment bien placés. Puis, une mauvaise rencontre, un choc, et il ne reste qu’une feuille sans forme ni allure ! C’est la vie du prion : une belle protéine aux élégantes hélices et beaux feuillets qui par une rencontre malheureuse perd toute beauté pour devenir informe ; et une protéine qui n’a pas la forme, ne fait pas du bon boulot ! Cette rencontre est celle avec un autre prion déformé. Non contents de se transmettre cette laideur, ces prions hideux ont la fâcheuse tendance à former des agrégats au qualificatif terrifiant d’amyloïdes. Comble du malheur, ils sont résistants à toute tentative de réparation ou de destruction. Aucun recours enzymatique pour la cellule ; ne pouvant les éliminer, il faudra les garder. Mettez tout ça dans le cerveau d’une jolie vache et la voilà folle et bancale pour le reste de sa vie. Ne vous moquez pas ! Creutzfeld-Jakob nous rappelle que cette démence pourrait bien nous tomber dessus.

Qu’ont-elles de si hideux ?
Ces protéines sont riches en acides aminés basiques, glutamine (Q) et asparagine (N). Cela leur permet d’être dans deux états conformationnels différents : l’un joli et inoffensif, l’autre informe et inquiétant. La jolie protéine tendue comme un ressort passe définitivement et sans crier gare au second état, ramollo, en présence d’un autre prion. Ainsi des répétitions de QQQ ou de NNN sur plusieurs dizaines d’acides animés devraient vous faire frémir. Cela est arrivé à Eric Kandel à Columbia University (New York), spécialiste des processus moléculaires liés à la mémoire. Il étudie une protéine régulatrice de translation connue sous le nom romantique de CPEB (cytoplasmic polyadenylation element binding), quand soudain, il lui découvrit une tête pleine de Q. Stupeur ! Il coupe cette infamie et l’injecte dans une levure. Il n’en faudra pas plus pour que la pauvre cellule se prenne pour une vache folle. C’est incontestable, la tête du CPEB a les propriétés d’un prion. Il y en a partout !

De l’aplysie aux mammifères en passant par le xénope. Ce n’est pas étonnant, ce facteur de régulation présent dans les boutons synaptiques réveille les ARNm dormants en allongeant leur queue d’une suite d’adénine propice à la translation. C’est donc une molécule charmante et docile, bénéfique à la synthèse protéique et au bon fonctionnement synaptique.

Alors, que fait cet agneau sous son masque de prion ?
Kandel réajuste ses lunettes : un prion s’auto-réplique par ses rencontres avec des protéines sœurs, il survit ainsi au renouvellement protéique et se perpétue comme une mémoire MEMOIRE ! Mais bien sûr ! Les propriétés de prion du CPEB en font une mémoire moléculaire à long terme ! Vous connaissiez les mémoires par auto-phosphorylations, voici les mémoires par les prions !

Faut-il s’inquiéter ou se réjouir de ce bal masqué ?
Le plus simple est de poser la question à l’aplysie, ce mollusque marin cher à E Kandel et dont la mémoire à long- terme vous ferait pâlir d’envie. Une stimulation de sa queue, par un protocole de sensibilisation, modifie ses réactions motrices pendant plusieurs jours. Cette mémoire motrice est déclenchée par la libération de sérotonine (5-HT) qui renforce les connexions dans le ciboulot de l’invertébré. Stupéfiant, Kandel et coll. montrent que la 5-HT augmente le taux de CPEB et favorise la formation d’agrégats amyloïdes dans une synapse cible. Voilà donc comment s’activerait un prion : sous l’influence d’un transmetteur modulateur libéré par une stimulation sensorielle ! Non content de cela, une fois induit, ces agrégats s’auto-répliquent et s’entretiennent sans aide extérieure, malgré les renouvellements moléculaires et le temps qui passe.

L’activation des ARNm et la synthèse protéique nécessaires au renforcement synaptique et à la mémoire du petit cerveau sont alors durablement maintenues. Empêchons la formation des agrégats et c’est la mémoire du mollusque qui flanche. Il en est ainsi pour l’aplysie comme pour l’hippocampe, tous dans le même bateau : le CPEB sous son masque de prion arpente les synapses du mollusque comme celles de la structure nerveuse du mammifère.

S’il en est ainsi, qu’est ce qui distingue nos délires de nos souvenirs ? Mais j’y pense est-ce bien différent ?

Romuald Nargeot


 

A propos

ERIC KANDEL

Pionnier de l’étude de la mémoire au niveau moléculaire, a établi un lien entre les structures de type prion et la mémoire à long terme chez l’aplysie. Il semble que ce processus soit soutenu par des protéines dont la structure est semblable à celle des prions. Prix Nobel de physiologie-médecine en 200

RÉFÉRENCES

Pavlopoulos E., Trifilieff P., Chevaleyre V., Fioriti L., Zairis S., Pagano A., Malleret G. and ER. Kandel (2011). Neuralized 1 activates CPEB3: A function for nonproteolytic ubiquitin in synaptic plasticity and memory storage. Cell. 147:1369-83.

Shorter J. and Lindquist, S. (2005) Prions as adaptative conduits of memory and inheritance. Nature Review Genetics 6, 435-450.

Si,K., Choi, Y.B., White-Grindley, E., Majumdar, A., and Kandel, E.R. (2010). Aplysia CPEB can form prion-like multimers in sensory neurons that contribute to long-term facilitation. Cell 140, 421␣435.

Si, K., Giustetto, M., Etkin, A., Hsu, R., Janisiewicz, A.M., Miniaci, M.C., Kim, J.H., Zhu, H., and Kandel, E.R. (2003b). A neuronal isoform of CPEB regulates local protein synthesis and stabilizes synapse-specific long-term facilitation in aplysia. Cell 115, 893␣904.

Si, K., Lindquist, S., and Kandel, E.R. (2003a). A neuronal isoform of the aplysia CPEB has prion-like properties. Cell 115, 879␣891.

Pierre Trifilieff a fait son post doc chez Eric Kandel après avoir par soutenu sa thèse à « Bordeaux Neuroscampus » sous la direction de Jacques Micheau en 2006 dans l’unité CNRS de Georges Di Scala, clic.… Com FBN yves Deris 18 Juin 2012

 


18 juin 2012

Publication: 18/06/12
Mise à jour: 11/02/20