Jean-Marie Cabelguen et Jean-René Cazalets : Prix Fondation BNP Paribas de l’Innovation Scientifique
Prix Fondation BNP Paribas de l’Innovation Scientifique 2 mai 2011
« Restaurer la marche grâce à une orthèse du tronc robotisée »
Le Prix 2011 est attribué à Jean-Marie Cabelguen et Jean-René Cazalets
Issu de la rencontre entre biologie, informatique et robotique, ce projet de recherche, codirigé par Jean-Marie Cabelguen et Jean-René Cazalets, en collaboration avec Auke Ijspeert , a pour objectif de découvrir les principes qui régissent le fonctionnement du système axial chez l’Homme. La verticalité de notre espèce entraîne en effet des contraintes en termes d’équilibre, auxquelles le tronc répond de manière complexe, assurant la stabilité lors des mouvements. Comment ce tronc, très articulé, est-il commandé par les réseaux de neurones qui l’innervent ? Avec, à terme, un objectif ambitieux : rendre au tronc sa mobilité et son rôle dans la stabilité posturale lors de la marche chez les personnes invalides, grâce à une orthèse robotisée « intelligente ». Nombreux sont les patients qui pourraient bénéficier de cette technologie innovante, depuis ceux souffrant de pathologies spécifiques du tronc (camptocormie, ou cyphose lombaire progressive, scoliose, maladie de Parkinson, etc.) jusqu’à ceux atteints de tétraplégies ou d’autres paralysies suite à un accident (lésion de la moelle épinière, accident vasculaire cérébral).
La bipédie représente un défi aux lois de l’équilibre ; avec un centre de gravité élevé, situé 40 à 50 cm plus haut que celui d’un quadrupède de taille équivalente, l’Homme, ou plutôt son système neuromusculaire, est en lutte permanente contre le déséquilibre intrinsèque créé par sa position verticale. En témoigne le long apprentissage de la marche chez l’enfant, puis de la stabilité, dans notre espèce. « Ce qui est encore méconnu, explique Jean-René Cazalets, est la façon dont sont couplés les membres et le tronc. On voit bien que ce dernier, hautement articulé, joue un rôle clé dans la stabilisation lors de la locomotion. Mais quels sont les mécanismes neurophysiologiques mis en jeu pour contrôler finement ces articulations et aboutir à l’équilibre ? C’est ce que nous essayons de comprendre. »
Tout débute chez la Salamandre par des résultats d’expérimentations neurobiologiques réalisées dans l’équipe de Jean-Marie Cabelguen.(cliquez sur ce lien video de la salamandre modélisée)) Ils montrent que les commandes neuromusculaires de la queue, mises en jeu lors des déplacements terrestres de cet amphibien et nécessaires au maintien de sa stabilité, sont très similaires à celles qui actionnent les muscles du dos chez l’Homme. La Salamandre constitue par conséquent un excellent modèle pour appréhender l’architecture et le fonctionnement basique des réseaux neuronaux humains qui innervent le tronc. Des expériences électrophysiologiques et pharmacologiques destinées à élucider ces mécanismes au niveau cellulaire complèteront l’approche biologique chez l’animal.
Les données expérimentales recueillies sur les déplacements de la Salamandre sont ensuite exploitées au laboratoire BioRob de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) dirigé par le professeur A. Ijspeert, afin de créer, dans un premier temps, un modèle numérique du réseau locomoteur de l’animal. Cet algorithme, le plus fidèle possible à la réalité, est ensuite utilisé pour commander et tester les réactions d’un robot-salamandre mis au point par les roboticiens de ce même laboratoire. Les performances du robot sont décortiquées par l’équipe de Lausanne, qui en retour émet des hypothèses concernant le fonctionnement du système nerveux de la Salamandre. « Lorsque nous avons commencé à tester les hypothèses suggérées par nos collègues suisses, qui ne sont absolument pas biologistes, raconte avec enthousiasme Jean-Marie Cabelguen, beaucoup ont été vérifiées par nos expériences sur le vivant ! Une véritable démonstration de la pertinence de notre approche… Aussi ce robot nous a-t-il permis de proposer un mécanisme simple de contrôle de la direction, de la vitesse et du mode locomoteur valable chez tous les vertébrés. » Et Jean-René Cazalets de compléter : « Le va-et-vient permanent entre la biologie, la modélisation informatique et la robotique est particulièrement informatif ; chaque approche se nourrit et s’enrichit de l’autre. »
La modélisation chez la Salamandre représente donc un pas important vers la modélisation des mouvements du tronc chez l’Homme. En effet, bien que de nombreux modèles aient été développés pour simuler les mouvements des membres au cours du déplacement, la mobilité du tronc, quant à elle, n’a été que très peu analysée.
La locomotion est impliquée dans une grande variété d’actions et peut prendre différentes formes incluant la nage, la reptation, la marche, le vol aussi bien que le bond.
Afin de franchir l’étape suivante, le fonctionnement du système locomoteur humain doit être étudié grâce à la plate-forme d’analyse de la motricité de l’équipe de Jean-René Cazalets : des sujets sont équipés avec des électrodes qui enregistrent l’activité des différents muscles (enregistrements électromyographiques) ; les mouvements du corps sont enregistrés en même temps afin de coupler la biomécanique de l’action musculaire et la mécanique du tronc. Cette étude sera réalisée dans différentes conditions, mimant les informations sensorielles qui affluent au cerveau lors de la locomotion et qui permettent l’adaptation à l’environnement. Par exemple lors d’une stimulation du vestibule (cavité de l’oreille interne), qui est un des éléments impliqués dans le maintien de l’équilibre.
Parallèlement, le robot-salamandre sera soumis aux mêmes conditions expérimentales afin de modéliser sa réponse aux perturbations de l’environnement telles que dénivelés, obstacles, etc. et s’approcher au plus près de la locomotion réelle. Le but de la comparaison entre les données d’enregistrement humaines et celles du robot-salamandre est d’aboutir à une modélisation du système axial chez l’Homme. Cela devrait permettre aux chercheurs d’élucider l’organisation de la commande neuronale de notre tronc multiarticulé.
Deux voies de recherche vers des applications médicales
Le premier objectif de ce projet est la conception d’une orthèse de tronc susceptible d’appareiller les patients déficients pour la marche. Jean-Marie Cabelguen précise : « Cela pourrait se présenter comme un exosquelette, calqué sur le modèle du robot-salamandre ; c’est-à-dire un système articulé intelligent, motorisé, qui permettrait au patient de récupérer une fonction locomotrice correcte avec une bonne stabilité. L’articulation du tronc au cours de la marche permet effectivement d’ajuster en permanence la position du centre de gravité du corps. »
La seconde voie thérapeutique envisagée par l’équipe réside dans la stimulation électrique fonctionnelle. Cette approche, utilisée dans le domaine de la mobilité des membres, repose sur le principe de la stimulation directe et séquentielle, par des électrodes, des muscles paralysés, de manière à reproduire artificiellement le profil moteur enregistré chez l’individu normal. Les recherches menées dans ce sens depuis une quinzaine d’années par différents groupes pour mobiliser les jambes ont montré que, sans couplage avec le tronc, la stabilité lors du déplacement était insuffisante. À l’avenir, la restauration d’une fonction locomotrice correcte devra nécessairement prendre en compte l’articulation du tronc. Les résultats expérimentaux de ce projet pluridisciplinaire devraient constituer un apport déterminant.
Plus d’info
– Site de Bordeaux Neurocampus : http://www.neuroscience.univ-bordeauxsegalen.fr/
– Site de présentation de la plate-forme d’analyse de la motricité :
www.aquitaine-valo.fr/IMG/pdf/OT_PlateformeMotricit.pdf
– Site du laboratoire de biorobotique de l’École Polytechnique fédérale de Lausanne : http://biorob.epfl.ch/
La Salamandre, animal modèle
Vertébré amphibien très répandu, la Salamandre est considérée comme le représentant des premiers tétrapodes qui se sont aventurés hors de l’eau et se sont adaptés à la vie terrestre il y a environ 370 millions d’années. Avec l’acquisition des pattes et de la marche, l’organisation du système nerveux s’est complexifiée tout au long de la phylogenèse, l’histoire de l’évolution des espèces. Or l’étude de la structure des circuits locomoteurs de la Salamandre a montré des principes d’organisation semblables à ceux des mammifères. La bonne connaissance de la structure du tronc associée à une approche expérimentale techniquement plus facile en font un modèle de choix pour décrypter le fonctionnement du système nerveux des vertébrés.
Le soutien apporté au projet (248.000 euros pour 2 jeunes scientifiques attachés à ce projet)
Le financement attribué va permettre la réalisation du programme de recherche, notamment au travers du salaire de deux personnes sur deux ans. Ce qui, sur la dizaine de collaborateurs (soit environ cinq équivalents temps-plein) impliqués dans ce projet pluridisciplinaire, est déterminant. Le laboratoire va également engager de nouvelles collaboration. Se calquant sur les interactions existant déjà entre les groupes « Salamandre » et « robotique », elles vont se développer entre les groupes « Homme » et « robotique » afin d’améliorer la conception des robots humanoïdes. Le challenge est de mettre au point des systèmes de commande inspirés de la physiologie pour en faire des robots « agiles », correctement articulés au niveau du tronc, donc plus stables et capables de répondre de manière adéquate aux modifications de l’environnement.
Le 4 mai 2011
Mise à jour: 16/11/20