Entretien avec Gabriel Finkelstein
Gabriel Finkelstein est professeur associé en histoire à l’University of Colorado Denver aux États-Unis. Il est, jusqu’à mi-avril 2022, en congé sabbatique dans l’équipe Neurosciences, Humanités et Société de l’IMN (Institut des Maladies Neurodégénératives). Ces travaux se concentrent sur Emil du Bois-Reymond, physiologiste allemand (1818-1896), notamment connu pour ses recherches en bioélectricité aux origines de l’électrophysiologie.
En quoi Emil du Bois-Reymond est-il une figure importante des neurosciences ?
Au cours de mes recherches, je me suis d’abord penché sur du Bois-Reymond le physiologiste. Bien qu’étudiant en médecine, il s’intéressait à la physique et notamment à l’électricité. Il a contribué à de nombreuses découvertes telles que la polarisation des nerfs stimulés par un courant, la diminution de l’électricité dans les nerfs et les muscles lors de spasmes tétaniques ou encore a proposé une explication chimique aux transmissions synaptiques. Plus spectaculaire, il fut connu pour avoir démontré l’existence de signaux électriques dans son propre corps.
Cependant, je ne m’attendais pas à ce qu’il ait autant d’importance sur le plan public. C’était un grand orateur qui, bien qu’étant allemand, fut influencé par ses racines françaises dans son approche scientifique et philosophique. Cette facette de sa vie est le cœur de mes recherches aujourd’hui.
Pourquoi êtes-vous venu au sein de l’équipe Neurosciences, Humanités et Société de l’IMN ?
Mon choix s’est porté sur cette équipe pour plusieurs raisons. La première fut évidemment la réputation de Bordeaux Neurocampus. Je suis venu ici, bien sûr, pour la qualité de la recherche mais aussi pour observer le fonctionnement d’une équipe interdisciplinaire qui arrive à combiner avec succès les sciences naturelles, les sciences sociales et la philosophie.
Aussi, la France s’est imposée pour des raisons à la fois professionnelles et personnelles. J’ai commencé à m’intéresser à ce pays à l’époque où j‘étais encore lycéen, lors de mon séjour d’un an à Rennes. Cette année a changé ma vie. Étudiant, je pensais me tourner vers l’histoire de France mais le sujet d’Emil du Bois-Reymond, quelque peu captivant, a orienté mes recherches sur l’Allemagne où j’ai vécu pendant sept ans. On peut dire que ça fait 25 ans que j’essaie de revenir à l’histoire française.
Point important tout de même, ma famille m’a suivi jusqu’ici et j’en suis ravi. Je voulais leur faire découvrir le pays et développer chez eux le même intérêt que j’ai pour la France. C’est comme une machine à remonter le temps pour moi ! Ma fille peut ainsi en savoir plus sur son père et faire l’expérience d’une organisation sociale différente des États-Unis.
Qu’avez-vous prévu après votre retour aux États-Unis ?
Premièrement, finir ce projet historiographique, mon deuxième livre. Le premier a pris 25 ans pour être écrit ; le second en prend 15, les projets historiques ne se font pas en un jour. Ensuite, j’aimerais appliquer l’organisation et le fonctionnement de Bordeaux Neurocampus à mon université et y apporter une plus grande cohésion interdisciplinaire qui fait la force du département.
Je voudrais me concentrer sur la philosophie des neurosciences. Connecter la perspicacité du 19ème siècle avec les projets contemporains de recherche dans ce domaine est mon prochain objectif. Thomas Boraud et Cédric Brun travaillent justement sur les limites de l’explication scientifique et des approches neuroscientifiques sur les problèmes sociaux.
Emil du Bois-Reymond, à son époque, avertissait déjà la communauté scientifique sur les limites de la centralisation et la compartimentation des sciences. La science est le seul champ culturel qui progresse car elle est cumulative. De fait, l’histoire des sciences est l’histoire de l’humanité, a-t-il fait remarqué. Mais il a aussi indiqué que ce progrès scientifique a un coût : la science réduit tout à l’utilité.
Pour revoir son séminaire :
https://www.youtube.com/watch?v=u4HEwLTex6k
Contact
https://clas.ucdenver.edu/history/gabriel-finkelstein
Propos recueillis par Alban Belloir
Mise à jour: 10/04/22