Parution de “Neurosciences, un discours néolibéral”, de François Gonon
Ce 24 septembre parait aux éditions Champ Social l’ouvrage “Neurosciences, un discours néolibéral – Psychiatrie, éducation, inégalités“, écrit par François Gonon.
François Gonon est directeur de recherche émérite au CNRS, dans l’équipe “Neurosciences Humanités et Société” à l’Institut des maladies neurodégénérative. Il a travaillé pendant 35 ans comme neurobiologiste. Depuis 12 ans ses recherches visent à expliquer les écarts entre les observations en neurosciences et leur présentation par les médias.
Résumé
L’engouement croissant pour la biologie du cerveau tient à la conviction qu’elle serait la mieux placée pour expliquer les troubles mentaux, les difficultés scolaires et les inégalités sociales. Pourtant, selon les scientifiques les plus reconnus, les neurosciences n’ont, jusqu’à présent, guère éclairé les pratiques en psychiatrie, en pédagogie ou pour lutter contre les inégalités. Il y a en effet un écart considérable entre le discours triomphant délivré au grand-public et la réalité des avancées scientifiques. Ce double discours favorise une conception neuro-essentialiste des comportements humains. En mettant l’accent sur le cerveau individuel, cette conception occulte les responsabilités collectives, notamment vis-à-vis des enfants et des familles défavorisées. En célébrant la plasticité cérébrale, le discours des neurosciences contribue aussi à renforcer l’idéal néolibéral d’autonomie et d’adaptabilité. Parmi tous les discours d’experts, celui des neurosciences est particulièrement difficile à critiquer sur le fond en raison de sa technicité. Ce livre en propose un examen critique.
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Par François Gonon
Parmi les différentes disciplines des sciences expérimentales, les neurosciences occupent depuis quatre décennies une place privilégiée tant dans la littérature scientifique que dans les médias. Cet engouement tient à la conviction, de plus en plus largement partagée, que les sciences du cerveau sont les mieux à même d’expliquer les comportements humains. Ces explications sont tout particulièrement convoquées dans trois champs majeurs de la vie sociale: les troubles mentaux, les apprentissages scolaires et les inégalités sociales. Pourtant, selon les scientifiques les plus reconnus pour leur expertise dans ces trois domaines, les neurosciences n’ont, jusqu’à présent, guère contribué à éclairer les pratiques, aussi bien pour le soin en psychiatrie que pour la pédagogie ou la lutte contre les inégalités. Il y a en effet un écart considérable entre le discours triomphant délivré au grand-public et la réalité des avancées en neuropsychiatrie ou en neuro-pédagogie. Ce double discours a surtout été étudié pour la neuropsychiatrie. Ces études académiques ont montré que les biais de publication, les exagérations et les interprétations abusives sont déjà présents dans la littérature scientifique. Les journalistes ne font qu’amplifier ces distorsions.
Ce double discours favorise une conception neuro-essentialiste des comportements humains. Cette conception augmente la stigmatisation des patients souffrant de troubles mentaux et leur pessimisme vis-à-vis de leurs possibilités de guérison. Elle fait porter sur la personne la responsabilité de l’échec scolaire et social, occultant les responsabilités collectives, notamment vis-à-vis des enfants et des familles les plus défavorisées. Malgré ses conséquences sociales délétères, ce double discours semble nécessaire aux yeux des scientifiques car il facilite le financement de leurs recherches dans un contexte de compétition exacerbée.
En mettant en avant la plasticité cérébrale le discours des neurosciences est devenu moins déterministe, ce qui a facilité son acceptation par les sciences humaines et par le grand-public. Ce discours est aussi en phase avec l’idéal néolibéral de flexibilité et d’adaptabilité au travail. Les deux discours focalisent l’attention sur l’individu. Ils promeuvent l’autonomie et la responsabilité de chacun vis-à-vis des performances de son cerveau. Cette focalisation est stimulante pour les personnes situées en haut de l’échelle sociale et facilite leur réussite. Par contre elle ajoute aux conditions déjà difficiles des populations défavorisées, le poids d’une dévalorisation soi-disant authentifiée par la neurobiologie de la pauvreté. Cette proximité entre le discours des neurosciences et celui du néolibéralisme est objectivée par l’analyse politique du discours médiatique. Les journaux et les ministres les plus favorables aux thèses néolibérales sont aussi ceux qui sont les plus séduits par les promesses de la neuropsychiatrie et de la neuro-pédagogie. A contrario, les critiques sont plus fréquentes dans la presse sociale-démocrate.
En l’absence de bénéfices tangibles pour la pratique du soin et pour l’enseignement, le discours des neurosciences appliquées à la psychiatrie et la pédagogie s’appuie sur deux arguments d’autorité pour crédibiliser ses promesses. Premièrement, comme le cerveau est l’organe clé dans ces deux domaines, les neurosciences seraient plus scientifiques et, donc, plus pertinentes que les sciences humaines et sociales. Deuxièmement, puisque toute croyance en un monde autre que matériel est une illusion, toutes les notions floues comme l’esprit, la honte ou la culpabilité doivent être écartées d’une pensée matérialiste et rationnelle. Cependant, même en restant matérialiste et rationnel, ces deux arguments ne tiennent pas face aux objections philosophiques, évolutionnistes et historiques.
Les politiques inspirées par le néolibéralisme sont souvent moins efficaces pour générer du bien commun que ne l’affirment le discours hyper-rationnel de leurs promoteurs. Au contraire elles augmentent les inégalités de revenus et de patrimoine, ainsi que les risques d’instabilité, comme avec la crise financière de 2008. Ces inégalités et instabilités, ces discours d’experts affirmant qu’il n’y a pas d’alternative, génèrent chez les citoyens du désespoir, de la rancœur et de la défiance, dont les partis d’extrême droite font leur miel. Lorsqu’il touche à l’humain, le discours des neurosciences contribue trop souvent à ce concert de discours déshumanisants. Cette contribution est d’autant plus problématique que, parmi tous les discours d’experts, celui des neurosciences, en raison de sa haute technicité, est le plus difficile à critiquer sur le fond. J’espère que le lecteur aura trouvé dans ce livre des réponses à Jean-Michel Blanquer. Non, monsieur le ministre, ce n’est pas forcément du “néo-obscurantisme” que de questionner le discours des neurosciences.
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Last update 25/09/24