Décès de Jean-Didier Vincent
Le neurobiologiste Jean-Didier Vincent, qui a contribué à l’essor des neurosciences modernes à Bordeaux, est décédé dans la nuit du 3 au 4 décembre 2024 à l’âge de 89 ans.
Né à Libourne en 1935, Jean-Didier Vincent, après une scolarité au collège protestant de Guyenne, suit des études de médecine à l’École du service de santé des armées de Bordeaux, et rencontre, alors interne, le neuropsychiatre Jacques Faure, qui aura une très grande influence. Dès le début des années 1960, Jean-Didier Vincent développe la recherche sur les interactions entre les hormones et le système nerveux. Ce pionnier de la neuroendocrinologie renforce cette discipline à Bordeaux avec la mise en place des nouvelles techniques d’électrophysiologie et d’enregistrements unitaires.
Par ses séjours aux États-Unis, Jean-Didier Vincent élargit ses techniques et thèmes de recherche et devient un pionnier de l’approche cellulaire des régulations endocriniennes. Ce médecin physiologiste dirige le service d’exploration fonctionnelle au CHU de Bordeaux de 1975 à 1991. Professeur sans chaire de 1973 à 1978, il devient professeur de physiologie à la faculté de médecine de Bordeaux à partir de 1979. Il dirige l’unité Inserm “Neurobiologie des comportements” à partir de 1978. Sous son impulsion et sa direction, le laboratoire deviendra une unité Inserm de référence.
Bernard Bioulac, professeur émérite à l’université de Bordeaux, n’oubliera jamais cet homme entier. “C’est une personnalité créative, attachante mais provocatrice qui disparait“, reconnait-il. Celui qui fut à la fois son élève et son successeur rappelle que “l’essor des neurosciences bordelaises commence dans les années 70 avec des personnes comme Jean-Didier Vincent.”
En 1992, il part diriger le laboratoire de neurosciences du CNRS à Gif-sur-Yvette et deviendra professeur émérite de l’université Paris-Sud.
Scientifique reconnu et auteur primé
La qualité de ses travaux a été, tout au long de sa carrière, largement reconnue, comme le démontre ses nombreuses distinctions – voir plus bas. Membre de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine, il a été notamment professeur à l’Institut universitaire de France, président du Conseil national des programmes au ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la recherche, vice-président du Conseil national des programmes au ministère de l’Éducation nationale, président du conseil de département des sciences de la vie du CNRS.
Enfin, Jean-Didier Vincent est l’auteur de multiples livres, notamment de Biologie des Passions, paru en 1986 aux éditions Odile Jacob. Ce livre référence, en France et au-delà, résume en quelque sorte toute sa pensée : comment se bâtit un comportement, entre la cognition, les émotions, la motivation. Son travail de recherche combiné à son travail d’écriture et son amour de la littérature faisait également de lui un chercheur assez médiatisé. Son livre “Élisée Reclus, géographe, anarchiste, écologiste” a reçu le prix Femina essai 2010. La librairie Mollat lui consacre un hommage avec plusieurs entretiens filmés à revoir.
Un visionnaire de la physiologie intégrative et des mécanismes adaptatifs
La physiologie que Jean-Didier Vincent a développée rapproche les phénomènes hormonaux avec des événements comportementaux et les mécanismes neurophysiologiques qui les sous-tendent. Il s’agit d’une physiologie “de milieu” qui considère qu’il n’est pas d’événements physiologiques isolés réductibles à leur seule apparence phénoménale, mais que ceux-ci doivent être replacés dans la durée et leur environnement extracorporel, conduisant au concept “d’état central fluctuant”. Ce concept, pour lui, doit être rapproché de celui de « la constance du milieu intérieur » de Claude Bernard. Parmi l’ensemble de ses travaux, Jean-Didier Vincent a mis en évidence l’action modulatrice de certaines hormones sur l’activité électrique cérébrale lors de l’édification centrale des comportements et/ou de fonctions tels que la faim, la soif, la reproduction, le sommeil. Il a démontré que les osmorécepteurs cérébraux étaient situés dans la région antérieure de l’hypothalamus au contact de la paroi ventriculaire. Ces osmorécepteurs, non seulement détectaient le niveau de l’osmolarité sanguine, mais aussi contribuaient à déterminer la motivation dans la genèse du comportement dipsique.
Dépassant les frontières classiques entre système nerveux et hormones, Jean-Didier Vincent a montré que certaines cellules endocrines, de l’hypophyse notamment, partageaient avec les neurones les mêmes propriétés d’excitabilité électrique. Grâce à la mise au point de techniques d’électrophysiologie moléculaire et de modèles in vivo, il a étudié la diversité des mécanismes régulateurs et de transduction des signaux au niveau des membranes, l’action modulatrice des stéroïdes sexuels et surrénaliens, et comment ces actions s’intègrent à l’ensemble des fonctions adaptatives d’un organisme vivant. Il a étudié les mécanismes de l’exocytose et notamment le rôle des protéines G de la famille Rab3 dans le contrôle de la libération des neurohormones ainsi que la phylogenèse des récepteurs nerveux de la dopamine et plus généralement des monoamines. Il a proposé, d’après un ensemble de données comparatives, une série de mécanismes évolutifs aboutissant à l’installation chez les vertébrés d’un système monaminergique (catécholamine et sérotonine) associé aux capacités nouvelles motivationnelles et affectives caractéristiques de ces espèces.
Les obsèques de Jean-Didier Vincent auront lieu le mardi 10 décembre à 10 heures à Bordeaux dans la chapelle de l’hôpital Saint-André (où il avait dirigé le service du sommeil). L’inhumation suivra vers 14 heures à Sainte-Foy
L’ensemble de la communauté de Bordeaux Neurocampus présente ses très sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
Instances scientifiques et de gestion de la recherche
- Membre de la commission scientifique spécialisée de l’Inserm « Système musculaire squelettique, système nerveux central et organes des sens » (1974–1979).
- Membre de l’intercommission scientifique spécialisée de l’Inserm « Recherches sur les conduites normales et pathologiques en matière de consommation » (1995–1998).
- Vice-président (1994–2002) puis président (2002) du conseil national des programmes au ministère de l’Education nationale.
- Membre du comité d’éthique des sciences du CNRS – COMETS (1995- 2003).
- Président du conseil de département des sciences de la vie du CNRS.
- Membre du comité d’éthique et de précaution pour les applications de la recherche agronomique de l’Inra – Comepra (2003–2007).
Sociétés savantes – Académies
- Membre de l’American Academy of Arts and Sciences, de l’Académie royale de Belgique (classe science), membre honoraire de l’Académie royale de médecine de Belgique.
- Membre de l’Académie nationale de médecine depuis 2001.
- Correspondant (1999), puis membre de l’Académie des sciences – Institut de France (2003).
- Membre puis président de la Société de physiologie, de l’Endocrine Society, de l’American Neurosciences Association.
- Membre de l’Academia Europaea.
- Membre étranger de l’American Academy of Arts and Sciences et de l’Académie royale de Belgique.
- Président de la Société de neuro-endocrinologie (1987–1992).
- Membre honoraire de l’American Physiological Society.
Prix – distinctions
- Prix Lacaze de l’Académie des sciences – Institut de France (1981).
- Prix Blaise-Pascal (1991).
- Prix médecine et culture de l’Institut des sciences de la santé (1996).
- Médaille d’or de l’université de Prague (1998).
- Docteur honoris causa de l’université libre de Bruxelles (1999).
- Chevalier dans l’ordre du Mérite agricole.
- Commandeur dans l’ordre des Palmes académiques.
- Officier de la Légion d’honneur.
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Last update 12/12/24