Aline Desmedt dans « 20 minutes »
Voir l’interview dans Journal 20 minutes – Propos recueillis par Elsa Provenzano
Dans le cadre de la semaine sur le cerveau, qui se tient jusqu’au 19 mars, 20 Minutes s’intéresse au phénomène de la mémoire traumatique…
Aline Desmedt Maitre de Conférence au Neurocentre Magendie, dans l’équipe « Physiopathologie de la mémoire déclarative » d’Aline Marighetto
Comment aider les personnes qui développent un trouble de stress post-traumatique (TSPT) à se débarrasser des flash-back et à retrouver une mémoire de l’événement non pathologique ? C’est tout l’enjeu des travaux de l’enseignante-chercheuse à l’université de Bordeaux Aline Desmedt, également neurobiologiste au Neurocentre Magendie, que 20 Minutes a interrogé à l’occasion de la semaine sur le cerveau qui se tient jusqu’au 19 mars. Elle travaille sur le sujet depuis une vingtaine d’années et a fait sa thèse sur la mémoire liée au stress.
Quels types d’événements peuvent provoquer un trouble de stress post-traumatique ?
Aline Desmedt : Le TSPT est déclenché par un événement qui met en jeu l’intégrité physique ou psychologique d’un sujet. Pour qu’il en souffre, il n’est pas nécessaire qu’il soit blessé mais qu’il ait été témoin direct de l’événement et qu’il ait eu l’impression qu’il pouvait mourir (viols, agressions, attentats, et bien sûr combats militaires). Sur 100 personnes exposées à un attentat par exemple, 30 en moyenne vont développer ce trouble et d’autres au contraire vont présenter des capacités de résilience.
Une caractéristique clé de la mémoire traumatique, c’est de se focaliser sur un élément saillant. Par exemple, si vous vous faites agresser vous allez vous souvenir d’une odeur ou d’un bruit très marquants tandis que l’environnement, le contexte de l’événement, passe alors au second plan et peut même faire l’objet d’une amnésie.
Comment avez-vous procédé pour étudier ce phénomène de mémoire traumatique ?
Un premier financement de la fondation pour la recherche sur le cerveau (FRC) de 30.000 euros en 2006 a permis de développer un modèle comportemental et a donné lieu à une publication en 2012. Les animaux (souris) sont soumis à une peur conditionnée c’est-à-dire qu’on les place dans une situation inconfortable pendant quelques minutes. On réalise ensuite une injection de corticostérone, la principale hormone du stress, dans l’hippocampe (structure clé de la mémoire) afin de mimer un stress traumatique. Par ailleurs, un groupe contrôle est, lui, constitué de souris conditionnées mais ne recevant pas l’injection.
Le lendemain, on observe deux comportements très différents d’un groupe à l’autre quand on replace les rongeurs dans le même contexte de conditionnement et qu’on les réexpose à un son, qui était présent la veille mais qui n’était pas prédictif de l’événement stressant. Alors que les animaux du groupe contrôle ont peur exclusivement du contexte aversif et présentent donc une mémoire de peur dite normale, les animaux qui ont reçu l’hormone de stress n’ont plus peur du contexte et se mettent à avoir peur du son. Ces derniers présentent donc un « faux souvenir ».
On a déjà pu montrer chez des animaux comme chez l’homme, un hypofonctionnement de l’hippocampe ce qui expliquerait le déficit de mémoire vis-à-vis du contexte traumatique.
Aujourd’hui, il existe des thérapies cognitivo-comportementales qui poussent les patients à se remémorer leurs traumas, avec les précautions qui s’imposent et dans la perspective qu’ils puissent recontextualiser l’événement et l’intégrer à leur système mnésique normal. Ces méthodes sont efficaces dans 30 à 50 % des cas.
L’idée est de renforcer cette approche avec des traitements pharmacologiques qui viseraient à promouvoir la mémoire contextuelle de l’événement. Nous en sommes à la phase préliminaire de nos travaux. Les données, obtenues chez le rongeur et non encore publiées, sont encourageantes. A plus long terme, des traitements systémiques devront être testés avant d’envisager des essais cliniques chez l’homme.
Mise à jour: 16/05/18