Entretien : Lisa Roux
Ce mois-ci, dans Women’s Voices, Milesa Simic, doctorante à l’IMN, a rencontré Lisa Roux, directrice de recherche au CNRS et actuellement responsable de l’équipe « Neurophysiologie des comportements naturels » à l’Institut Interdisciplinaire de Neuroscience (IINS).
Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?
Lisa Roux : Mon parcours est un peu tortueux car je n’ai pas su tout de suite que ce que je voulais faire et j’ai saisi des opportunités quand elles se sont présentées. Après le bac, j’ai commencé par faire une année de classe préparatoire intégrée à l’INSA de Lyon dans un parcours « sport-étude » : j’étais – et je suis toujours – une adepte des tatamis. Mais j’ai très vite réalisé que je n’étais pas à ma place : mes résultats étaient bons mais je ne prenais aucun plaisir à aller en cours et l’esprit corporatiste de l’école d’ingénieur ne convenait pas du tout à ma personnalité un peu introvertie de l’époque.
Au bout d’un an, j’ai donc décidé de frapper à la porte de l’Université Lyon 1 où le responsable du parcours Biochimie m’a acceptée en 2ème année de DEUG. Ce diplôme, alors de niveau bac+2, existait encore à l’époque ! Une fois mon DEUG en poche, mes performances sportives m’ont conduite à être recrutée par un club de judo parisien, qui m’a offert une rémunération non négligeable pour l’étudiante que j’étais ! J’ai ainsi déménagé à Paris et rejoint les bancs de l’Université Paris 6 en 3ème année de Licence de Biologie tout m’entraînant à l’INSEP quasi quotidiennement. Comme je ratais beaucoup de cours à cause des entraînements, des amis les enregistraient et je les écoutais le soir ou pendant mes footings.
Je pensais alors m’orienter sur la cancérologie, mais un professeur fabuleux m’a fait découvrir les neurosciences et j’ai décidé de poursuivre dans cette voie. J’ai obtenu un Master de Biologie Intégrative et Physiologie avec une spécialité Neurosciences puis j’ai réalisé ma thèse au Collège de France, sous la supervision de Christian Giaume, sur les interactions neurone-glie dans le bulbe olfactif murin. Bien que le milieu de thèse ait été une période difficile – j’ai hésité à partir en médecine -, je crois que j’étais déjà une mordue de la recherche et la fin de thèse a été très épanouissante scientifiquement, bien que très intense. C’était aussi une période riche sur le plan humain car j’ai rencontré beaucoup de mes amis scientifiques avec qui je suis encore en lien aujourd’hui.
Pour mon post-doctorat, j’ai eu le choix entre plusieurs laboratoires et j’ai choisi celui de Gyorgy Buzsáki à l’Université de New York où je suis restée 6 ans. Mes travaux sur les oscillations dans l’hippocampe m’y ont permis d’obtenir un financement important du NIH – le K99 – pour mener mes propres projets et potentiellement monter un laboratoire aux Etats-Unis. Malgré cette belle opportunité, j’ai préféré postuler à une chaire Neurocampus du conseil régional, à une chaire IdEx de l’Université de Bordeaux, un financement ATIP-Avenir puis aux concours nationaux pour devenir chercheuse. Ayant réussi ces épreuves, je suis rentrée en France fin 2017 avec un poste de chargée de recherche au CNRS, une équipe de recherche au sein de l’IINS… et deux petits garçons en bas âge !
Quel a été, selon vous, le défi le plus important que vous ayez eu à relever pour atteindre ce stade de votre carrière ?
Il m’est difficile de répondre car, pour moi, il n’y a pas un défi mais une multitude de défis qui parsèment notre quotidien. Cependant, l’étape du début de post-doc – où je ne connaissais absolument rien aux techniques et analyses utilisées dans mon nouveau labo – a été un défi d’ampleur car je me suis alors retrouvée face à l’inconnu et une forte incertitude sur mes capacités à faire ce qui était attendu de moi. J’étais aussi très jeune par rapport aux Américains pour qui les thèses durent plus longtemps qu’en France. A ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait me faire « toute petite », observer, noter, lire, questionner mon entourage… et que peut-être j’allais finir par intégrer suffisamment d’éléments pour adresser mes propres questions. J’ai eu la chance d’être entourée par des personnes extrêmement bienveillantes et compétentes qui m’ont aidée à surmonter ce défi. De manière générale, on surmonte rarement un challenge en étant seul !
Avez-vous l’impression d’avoir fait des sacrifices personnels pour obtenir votre poste actuel ?
Ce poste n’a jamais été une finalité en soi, peut-être parce que je n’étais pas sûre, jusqu’à la fin de mon post-doctorat, de vouloir revenir en France. De plus, mes objectifs scientifiques et ma curiosité ont toujours pris le dessus sur la notion de carrière à proprement parler. Au-delà de cet aspect, je crois avoir eu beaucoup de chance et ne pas m’être privée de grand-chose lors de mon parcours de recherche : j’ai découvert un nouveau pays et de nouveaux amis, j’ai continué le sport, j’ai eu des enfants… Cela dit, il est évident que le métier de chercheur est un métier très prenant, un « métier-passion » comme on dit parfois. Ceci implique de travailler beaucoup mais aussi le fait qu’il est parfois difficile de déconnecter : des problèmes rencontrés au labo ou des idées de projets resurgissent toujours dans mes réflexions du quotidien, même quand je m’y attends le moins. J’ai choisi ce métier en connaissance de cause et j’aime son intensité et la stimulation intellectuelle constante qu’il me procure. Le terme de sacrifice sonne très négatif. Pour moi, plutôt qu’un sacrifice, j’ai fait un choix : celui de vivre ce métier pleinement au dépend de ma tranquillité d’esprit et de mes weekends parfois. Ceci serait évidemment impossible sans un soutien familial indéfectible.
Avez-vous l’impression que vous devez continuer à prouver que vous êtes digne d’un poste de direction parce que vous êtes une femme ?
Mes collègues ne me donnent pas cette impression : ils sont en général plutôt respectueux et encourageants. C’est même grâce à certaines et certains d’entre eux que j’ai eu le courage de candidater au poste de directrice de recherche et je leur en suis très reconnaissante. Par contre, je dois sans cesse lutter contre l’image que j’ai de moi-même et le fameux « syndrome de l’imposteur » qui me touche comme bien d’autres femmes. Ce syndrome n’est pas une légende ! Etrangement, le terme « imposteuse » ne semble pas exister dans le dictionnaire d’ailleurs… Pour ma part, j’ai appris à vivre avec, à continuer à avancer malgré tout, en me réfugiant dans l’action plutôt que des pensées négatives. Ma stratégie globalement fonctionne… mais pas tous les jours !
Si vous aviez une machine à remonter le temps, à quel moment de votre parcours remonteriez-vous et que changeriez-vous à votre carrière ?
Je ne crois pas que je changerais quoi que ce soit. Mes choix ont toujours suivi mes envies du moment et j’ai eu la chance de pouvoir me réorienter quand c’était nécessaire. Globalement, je n’ai pas de regret car j’ai appris à chaque étape de mon parcours.
Si vous aviez un conseil à donner à de jeunes chercheuses, quel serait-il ?
Pour les chercheuses qui ont déjà la chance d’avoir un poste, je dirais qu’il faut savoir apprendre à gérer les sur-sollicitations liées au fait d’être une femme dans un milieu encore très masculin – surtout après le post-doc – qui essaie de corriger ses biais. Il faut trouver le juste équilibre entre son implication dans la communauté, sa contribution à la représentativité des femmes et son travail de recherche qui doit rester central. Plus généralement, je dirais aux jeunes chercheuses de se faire confiance et de ne pas se mettre de barrières toutes seules. Même si un objectif vous paraît fou ou inatteignable, tout d’abord le chemin en vaut la chandelle. Ensuite, il est toujours possible de modifier sa trajectoire. Et enfin, vous pouvez avoir une heureuse surprise au bout car bien sûr l’objectif peut être atteint à la fin ! Alors, si vous aimez la recherche, soyez audacieuses et tentez l’aventure !
A propos
Entretien par Milesa Simic (doctorante à l’IMN)
Women’s Voices (Voix de femmes) est une série d’entretiens créée par le Neurocampus Parity and Inclusion Committee (NeuroPIC), un groupe local engagé dans la promotion de l’égalité et l’organisation d’actions visant à combler le fossé entre les femmes et les hommes dans le monde universitaire. L’objectif de cette section est d’accroître la visibilité des chercheuses en début de carrière à Bordeaux Neurocampus. Nous interrogeons les chercheuses sur leurs contributions scientifiques, leurs points de vue et leurs opinions sur l’équité, la diversité et les préjugés sexistes dans le monde universitaire. Grâce à ces entretiens, nous souhaitons non seulement mettre en lumière leurs réalisations, mais aussi servir d’inspiration à notre communauté scientifique et à d’autres femmes scientifiques.
Entretien réalisé par Milesa Simic, doctorante à l’IMN
Mise à jour: 16/12/24