Entretien – Marc Deffains
Marc Deffains est chercheur dans l’équipe « Physiologie et physiopathologie des fonctions exécutives » à l’institut des maladies neurodégénératives (IMN) depuis 2020. Rencontre.
Bordeaux Neurocampus : Vous avez intégré l’IMN récemment. Quel a été votre parcours jusqu’alors ?
Marc Deffains: En repensant à mon parcours, ce que je retiens c’est que j’ai toujours cherché à comprendre comment le cerveau fonctionne et ce qui guide nos comportements. Dès mon Master 1 en physiologie à Rennes, j’ai donc étudié les neurosciences. Puis, je suis parti à Marseille pour faire mon Master 2 et ma thèse sous la direction du Dr Paul Apicella au sein du Laboratoire de Neurosciences Cognitives, que j’ai obtenue en 2011. J’y ai étudié les mécanismes neuronaux qui sous-tendent les processus d’apprentissage chez le primate non-humain. J’ai ensuite rejoint le laboratoire du Professeur Hagai Bergman à l’université Hébraïque de Jérusalem pour approfondir mes connaissances dans le fonctionnement du cerveau humain à l’aide de singes entrainés à réaliser différentes actions et plus spécifiquement je me suis intéressé aux dysfonctionnements du cerveau que l’on peut observer chez les patients atteints de la maladie de Parkinson ou de troubles obsessionnels compulsifs. Enfin, après 6 ans passé en Israël, j’ai choisi de rentrer à Bordeaux en 2017 et j’ai commencé à passer le concours du CNRS pour intégrer l’IMN, que j’ai réussi l’année dernière.
Que retirez-vous des 6 années passées en Israël ?
En fait, j’avais envie de partir vivre en Israël bien avant la possibilité d’y effectuer mon post-doc. C’est un endroit qui m’intéressait, bien que je n’aie aucune attache particulière avec ce pays. Je voulais découvrir cette nouvelle culture et essayer de mieux appréhender cette région du monde et cet inextricable conflit.
Durant mon post-doc, j’ai eu la chance de rencontrer le Professeur Hagai Bergman qui est un des leaders dans le domaine de la physiologie et de la physiopathologie des ganglions de la base, il a notamment contribué au développement de la stimulation cérébrale profonde chez les patients parkinsoniens, c’est lui qui a montré qu’en lésant le noyau subthalamique on pouvait diminuer les troubles moteurs caractéristiques de la maladie de Parkinson. Ses recherches étaient faites sur les primates non-humains, c’est donc un fil conducteur pour moi, et grâce à sa supervision et son leadership, j’ai appris à me perfectionner dans les techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale dans les différentes structures des ganglions de la base, chez le singe éveillé sein ou atteint de la maladie de Parkinson. En parallèle, je me suis formé aux techniques du traitement du signal permettant d’étudier l’activité cérébrale. Ces techniques sont fondamentales dans mon domaine de recherche car on collecte beaucoup de données mais il faut aussi avoir les bons outils pour pouvoir les analyser.
Enfin, la confrontation avec cette autre culture a été très fructueuse pour moi. Elle m’a notamment montré qu’on pouvait penser différemment et finalement aboutir à des choses inattendues, auxquelles on ne s’attendait pas au départ et qui apporte néanmoins un nouvel éclairage. Malgré mon départ, j’ai encore beaucoup de collaborations qui sont très productives et qui le seront encore dans le futur je l’espère.
Et donc après Rennes, Marseille, Jérusalem, voir Bordeaux. Pourquoi avez-vous choisi de travailler ici ?
Après 6 années passées à l’étranger, on développe forcément certaines attaches, mais d’un autre côté, la famille, les amis et sa propre culture peut manquer. En réfléchissant où je pourrais continuer mes recherches en France, je me suis rendu compte qu’il y avait peu d’endroits où c’était possible : Paris, Marseille (où j’avais effectué ma thèse) et Bordeaux. Le monde de la recherche et tout particulièrement des neurosciences est un monde très petit, et Thomas Boraud a été un des premiers post-doc du professeur Hagai Bergman au début des années 2000. La connexion avec l’IMN et Bordeaux Neurocampus était donc assez évidente. On a vite développé des atomes crochus !
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent vos recherches à l’IMN ?
En fait, je vais étudier les mécanismes neuronaux de la prise de décision dans les ganglions de la base en situation normale quand les singes doivent faire un choix et en condition pathologique quand ils souffrent de la maladie de Parkinson. Les ganglions de la base sont un ensemble de structures sous corticales impliquées dans la prise de décision et leurs dysfonctionnements participent aux déficits de prise de décision qu’on observe chez les patients parkinsoniens. J’utilise donc les techniques que j’ai apprises durant ma thèse et mon post-doc pour comprendre les mécanismes de prise de décision : j’enregistre l’activité neuronale dans différentes régions du cerveau lorsque les animaux sont engagés dans un processus décisionnel et j’identifie les dysfonctionnements et leurs conséquences sur leurs capacités à faire des choix lorsqu’ils souffrent de la maladie de Parkinson.
En effet, la maladie de Parkinson, ce n’est pas seulement des troubles moteurs tels que des tremblements ou des difficultés à effectuer des mouvements. Les patients parkinsoniens souffrent également de troubles cognitives et notamment de difficultés à prendre des décisions et de comportements anormaux par rapport au risque (ils peuvent devenir risquophile ou risquophobe).
Je suis donc toujours à me poser les mêmes questions qu’avant d’entamer mes études : qu’est-ce qui guide nos comportements ? Je suis là pour trouver une partie de la réponse !
La transition vers un système de recherche qui n’ait plus recours aux expérimentations sur les animaux a récemment été débattu au Parlement européen. Quels sont les enjeux de la recherche chez le primate non-humain ?
Comme je l’ai dit un peu plus tôt, l’utilisation du primate non-humain dans mon parcours est un fil conducteur et comme une grande majorité de la société, je me suis très souvent posé la question du bien-fondé de son utilisation. A ce titre, depuis maintenant deux ans, je co-encadre avec le Dr. Karine Massé (Maitre de conférences, Université de Bordeaux, Institut des maladies neurodégénérative) des travaux dirigés pour des étudiants de licence sur le bien-fondé et la nécessité de l’utilisation du primate non-humain en expérimentation animale.
Aujourd’hui, les questions relatives au bien-être animal et à la pratique d’une recherche éthique et responsable sont au centre des préoccupations de chercheurs. De plus, l’expérimentation animale et tout particulièrement l’utilisation du primate non-humain est extrêmement encadrée aussi bien au niveau national, qu’au niveau européen. Il existe une réglementation claire, des contrôles fréquents et des sanctions en cas de non-respect des règles. De plus, l’utilisation du primate non-humain dans la recherche est rare (en comparaison à d’autres espèces animales telle que le rongeur) et n’est possible que dans des cas très précis lorsqu’il n’existe pas de méthodes alternatives. Du fait de sa proximité avec l’homme, le primate non-humain est un modèle extrêmement précieux qui doit être utilisé de façon responsable et réfléchit, mais qui permet indéniablement des avancées scientifiques et médicales majeures. Dès lors les enjeux de la recherche chez le primate non-humain peuvent se résumer à une question : Sommes-nous prêts à renoncer aux avancées scientifiques et médicales qu’apporte la recherche sur le primate non-humain ?
Mise à jour: 16/11/21